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28.
février
2023

«Je ne peux pas imaginer ma vie sans hockey sur glace»

Luca Wyss, 24 ans, est hockeyeur professionnel au sein du SC Langenthal, club de hockey évoluant en Swiss League et auquel il se consacre corps et âme. Aujourd’hui, son club étant contraint de se retirer du sport professionnel pour des raisons financières, cet ancien joueur national junior est à la recherche d’un nouvel employeur. Son avenir en tant qu’athlète professionnel est incertain, et les options sont limitées. Que faire maintenant?

«Je ne suis pas juste joueur de hockey pour le SC Langenthal, je suis supporter du club. Aujourd’hui, mon club doit se retirer du circuit professionnel. Je suis donc doublement affecté.

Je ne sais pas comment va se dérouler la suite de ma carrière de hockeyeur professionnel. Pour le moment, je ne suis plus sous contrat pour la saison prochaine. Je suis donc à la recherche d’un nouveau club, ce qui s’avère encore un peu compliqué. Mon agent Heinz Schneider et moi sommes en contact avec quelques clubs en Swiss League. Heinz entretient de bonnes relations avec leurs directeurs sportifs, mais nous avons souvent entendu: "Il est encore trop tôt pour se prononcer, nous devons attendre de voir comment évolue la situation dans la ligue. Voir si des clubs de National League, qui peuvent maintenant engager six joueurs étrangers au lieu de quatre auparavant, libèrent encore des joueurs suisses éligibles sur le marché de la Swiss League." Et maintenant que les play-offs ont débuté, on nous dit: "Nous ne menons pas de négociations en ce moment. Nous en reparlerons à la fin de la saison prochaine."

“Pour finir, mes play-offs ont duré en tout et pour tout 9 minutes et 38 secondes”

Les play-offs. L’essence même du hockey sur glace. Tous les joueurs apprécient particulièrement ces semaines-là. Cette année encore, malgré la situation difficile, l’impatience était à son comble, peut-être même encore plus grande que d’habitude, parce que je savais que ce serait la dernière fois avec Langenthal. Et nous voulions absolument encore arracher quelque chose. Nous tous en tant qu’équipe, mais bien sûr moi aussi en tant que joueur. Alors que le club jouait quasiment ses derniers matches avant son retrait, c’était pour moi l’avenir de ma carrière professionnelle qui était en jeu. Les play-offs sont en effet le meilleur coup de projecteur pour qui veut faire augmenter sa valeur sur le marché. Evidemment, c’est une situation très stressante, avec beaucoup de pression, mais la cohésion de l’équipe était si forte que ça m’a porté. Et là, juste avant le début des play-offs contre Olten, notre rival de toujours lors des derbies, malheur! J’ai attrapé la grippe, je suis resté cloué au lit avec de la fièvre pendant des jours et j’ai raté les trois premiers matches. Pour finir, mes play-offs ont duré en tout et pour tout 9 minutes et 38 secondes, le peu de temps de jeu que j’ai eu lors du seul match auquel j’ai pu participer. Elimination en quarts de finale, dernier match pour Langenthal, absence de points marqués de mon côté et toujours pas de contrat… Mais je suis confiant. Je me dis que je vais m’en sortir et que ma carrière n’est pas finie.

Luca Wyss (en bleu) et son club sont restés accrochés à leur adversaire d’Olten en quart de finale des play-offs – c’est la fin pour Langenthal. (KEYSTONE-SDA)

Luca Wyss (en bleu) et son club sont restés accrochés à leur adversaire d’Olten en quart de finale des play-offs – c’est la fin pour Langenthal. (KEYSTONE-SDA)

Le choc du 7 décembre

Pour nous autres joueurs, le choc s’est produit le 7 décembre 2022. Nous avions évidemment entendu dire que divers scénarios étaient à l’étude concernant l’avenir du club. Que le stade en piteux état et le déficit structurel du club posaient problème. Mais un retrait, personne n’aurait pu l’imaginer. Langenthal, c’est un des plus grands clubs de Swiss League: trois titres en championnat sur les dix dernières années. Je me souviens que toute l’équipe était assise là lorsque les responsables nous ont annoncé qu’ils comptaient se retirer du circuit professionnel à la fin de la saison: un silence pesant a empli la salle. Je me suis dit: "Ce n’est pas possible." Et dans le regard de mes coéquipiers rassemblés autour de moi, j’ai pu lire la même incrédulité. Cette nouvelle a fait très mal.

J’avais trois ans lorsque le SCL est monté en ligue nationale B. Je faisais alors mes premiers pas sur la glace. Quand j’avais 14 ans, je jouais pour l’équipe junior du SCL et j’allais encourager l’équipe dans le kop Streetside jusqu’à me casser la voix. Le SCL a alors remporté pour la première fois le titre en National League B, le nom de la ligue à cette époque. Quand j’ai eu 20 ans, et que je suis moi-même devenu attaquant aux côtés de mes idoles, le SCL a décroché pour la troisième fois le titre de champions dans la deuxième plus grande ligue, que l’on connaît maintenant sous le nom de Swiss League. Et là, on prend ce coup de massue sur la tête. Les images associées à chacune de ces étapes ont resurgi dans mon esprit et ont défilé devant mes yeux comme dans un film. Sauf qu’il n’y a pas de happy end à la fin.

“Je me souviens que toute l’équipe était assise là lorsque les responsables nous ont annoncé qu’ils comptaient se retirer du circuit professionnel à la fin de la saison: un silence pesant a empli la salle”

Quand le téléphone ne sonne pas

Dès le lendemain de l’annonce, nos meilleurs joueurs, notamment ceux qui avaient marqué beaucoup de points, ont reçu des appels de clubs intéressés. Quant à moi, j’avais eu une saison difficile, avec peu de points engrangés. Je ne peux pas vraiment dire à quoi c’est dû. Quand tu es attaquant, les points servent à mesurer ta valeur. Chez moi, le téléphone n’a pas sonné.

Il m’a fallu environ deux semaines pour digérer la situation, une période entrecoupée de passages à vide. Je ne savais plus quoi penser, je me sentais mal. La colère se mêlait au sentiment de déception. J’étais irrité parce que je me disais qu’il devait forcément y avoir une alternative à cette mesure radicale. Si j’en avais eu l’occasion, je serais certainement resté dans le club pendant encore un ou deux ans.

Une fois, j’ai entrevu un espoir parce que j’entendais circuler des rumeurs selon lesquelles des sponsors voulaient sauver le club professionnel. Mais il s’est très vite avéré qu’il ne s’agissait là que de simples bruits de couloirs et que la décision était définitive.

En route vers les sommets: Luca Wyss (à d.) marque le 2-0 contre la grande Suède lors du Championnat du monde junior 2019 – et rêve de NHL.

En route vers les sommets: Luca Wyss (à d.) marque le 2-0 contre la grande Suède lors du Championnat du monde junior 2019 – et rêve de NHL.

Je n’abandonne jamais. Même si ma carrière sportive a pris un tournant différent de celui que j’imaginais au cours de ces trois dernières années. En 2019, j’avais 19 ans et j’étais parti pour tutoyer les sommets. Je venais de remporter le championnat de ligue B avec Langenthal, j’avais joué les championnats du monde au Canada avec l’équipe nationale junior des moins de 20 ans. En quarts de finale, j’ai marqué le but du 2-0 contre la Suède, une équipe très puissante. Nous avons atteint la demi-finale, et je me suis mis à rêver de NHL en Amérique. J’ai ensuite enchaîné avec une saison au sein de l’EVZ Academy afin d’assumer plus de responsabilités et de continuer à me développer. Nous avons perdu presque tous nos matches, ce qui m’a un peu ôté le plaisir de jouer. J’ai pris conscience à ce moment-là que l’esprit d’équipe, l’ambiance familiale et la volonté de fer que j’avais toujours connus à Langenthal ne sont pas des choses qui vont de soi. Je suis donc retourné chez moi, dans mon club, et je me suis à nouveau épanoui. Mais les points, si cruciaux pour un attaquant, sont restés rares. J’ai alors commencé à me faire beaucoup de soucis. Mes amis au sein de l’équipe m’ont apporté leur soutien. Ils m’ont dit qu’il ne servait à rien de se poser trop de questions. C’est ce qui m’aide à rester confiant.

Fin 2021, Wyss est prêté aux Langnau Tigers pour deux matchs de National League.

Fin 2021, Wyss est prêté aux Langnau Tigers pour deux matchs de National League.

Une ligue à deux vitesses

Aujourd’hui, en février 2023, l’avenir reste incertain. Mais je ne peux pas imaginer ma vie sans hockey sur glace. Ces moments dans les vestiaires avec tes coéquipiers, qui deviennent des amis. Cette vie passée à Langenthal, à gagner tous ensemble, à perdre tous ensemble, et l’intensité de telles émotions. Le hockey est un sport tellement génial, on finit par devenir accro à la victoire. Mon objectif pour ma carrière est toujours le même: la National League. La saison dernière, j’ai déjà eu l’occasion de jouer deux matches dans cette ligue quand j’ai été prêté aux Tigers de Langnau. J’ai même marqué contre Ambri.

Mais ma prochaine étape reste la Swiss League, car c’est là qu’est ma place à l’heure actuelle. La ligue est déséquilibrée, elle manque de clubs et s’est transformée en une ligue à deux vitesses. Seules les équipes en haut du classement versent des salaires qui permettent aux joueurs de vivre uniquement du hockey. Il ne reste pas beaucoup d’options, mais il y en a quand même. Et, qui sait, ce sera peut-être bénéfique pour moi d’être obligé de quitter mon club de Langenthal, où tout est déjà vu et revu et où je connais tout le monde. Un nouveau départ, une nouvelle opportunité.

“Dans mon esprit, il n’y avait jusqu’à présent aucune autre voie que celle du hockey sur glace, alors j’ai un peu éludé les questions délicates. ”

Je vis encore chez mes parents à Melchnau, près de Langenthal, à cinq minutes de la patinoire. Mon père était lui aussi joueur au SCL. Mais maintenant, j’aimerais prendre mon envol, avoir mon propre appartement, etc. Financièrement, c’est vrai que ça aide d’habiter encore chez mes parents, car mon salaire est plutôt modeste pour un joueur pro. C’est aussi pour cette raison que je travaille en parallèle un à deux après-midi par semaine dans le bureau d’une entreprise de construction, pour laquelle j’effectue des tâches simples. En 2019, j’ai achevé mon apprentissage de commerce. J’ai également suivi une formation Feusi et je peux passer ma maturité professionnelle à tout moment. Je suis content d’avoir suivi une formation de base à côté du hockey, mais je ne me suis pas encore véritablement penché sur mon avenir après le sport. Dans mon esprit, il n’y avait jusqu’à présent aucune autre voie que celle du hockey sur glace, alors j’ai un peu éludé les questions délicates.

Et si je n’arrive pas à décrocher de contrat pro avec Bâle, Viège, La Chaux-de-Fonds ou ailleurs en Swiss League? Alors je resterai dans ma région natale et je continuerai à jouer au hockey dans la ligue amateur MyHockey League pour Langenthal ou, à côté, à Huttwil, là où mon frère joue comme gardien. La priorité, ce sera de trouver un emploi ou d’entamer une formation, de préférence dans le sport.

Je suis déjà très tendu face à cette situation mais, quoi qu’il arrive, je continuerai à aller aux matches du SC Langenthal à la Schoren. J’espère que ce sera seulement en tant que supporter.»

Enregistré par Pierre Hagmann, équipe Médias de Swiss Olympic

Quand le monde du SC Langenthal était encore en ordre: l’attaquant Wyss fête le titre de champion de Swiss League 2019. (màd)

Quand le monde du SC Langenthal était encore en ordre: l’attaquant Wyss fête le titre de champion de Swiss League 2019. (màd)

Un nouveau coup dur pour la Swiss League

Le SC Langenthal, club fondé en 1946, a expliqué son retrait du circuit professionnel par le manque de perspectives en ce qui concerne son stade. La patinoire actuelle, baptisée Schoren, est vétuste. Or, le projet qui visait à la remettre en état est tombé à l’eau. «Sans infrastructure dédiée aux sports de glace digne de ce nom et sans moyens financiers supplémentaires, il n’est pas possible de continuer à évoluer dans le circuit professionnel en Swiss League», a déclaré le club dans un communiqué. Cette relégation volontaire est un nouveau coup dur pour la deuxième plus grande ligue suisse de hockey sur glace, qui se cherche encore, entre ligue professionnelle et ligue formatrice. Suite au retrait de Langenthal, elle ne compte plus désormais que neuf équipes (au lieu de douze en temps normal). Les clubs de Martigny et d’Arosa ont fait part de leur intérêt en vue d’une promotion lors de la prochaine saison. En outre, la National League et la fédération injecteront conjointement 1,5 million de francs dans la Swiss League pour la remettre à flot.

Sans filtre – Histoires du sport

Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch