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Une pause pour Meret Baumgartner
À l’hiver 2025, la coureuse de haies bernoise Meret Baumgartner (23 ans) a terminé l’école de recrues sport d’élite et rêve de Los Angeles 2028, lorsqu’elle réalise: cela ne peut plus continuer comme ça. Elle tire alors le frein d’urgence et décide de faire une pause du sport d’élite pour soigner ses blessures psychologiques. Un bilan d’expérience personnel sur le sentiment d’impuissance en temps de crise, les diagnostics libérateurs et la question: un retour dans le sport d’élite est-il possible après une pause?
«À Miramas, mon corps se met en grève. Je suis en train de m’échauffer pour un meeting en salle dans le sud de la France, nous sommes le 31 janvier 2025 et soudain, je réalise: ça ne va plus. Je sais que je dois y aller, mais je sens que je ne peux pas. Je n’ai plus de force dans les jambes, mes pensées s’emballent, c’est une spirale vers le blocage. J’essaie de me calmer, j’écris à mon coach Adi, j’appelle mon petit ami, mais tout cela ne sert plus à rien. Je suis là et je me demande: qu’est-ce que je fais ici? Je fais mes valises, je me désinscris, je retourne à l’hôtel et je rentre en Suisse. Je réalise une chose: ça ne peut pas continuer comme ça.
Selon mon site internet, je suis une passionnée de course de haies. Mais en ce moment, ce n’est pas vrai, car pour le moment, je ne suis plus une coureuse de haies. J’ai mis le sport d’élite en pause, car je dois maintenant surmonter des obstacles liés à ma santé, dans ma vie privée.
Après l’incident en France, je tente encore les championnats suisses, mais je me déçois une fois de plus. Mes performances sont bien en dessous de mon potentiel, je ne comprends pas pourquoi et je suis perdue. Tout se passe très bien à l’entraînement. Mais dès que la compétition arrive, rien ne va plus. La joie, le feu, tout a disparu. Au lieu de cela: ce ne sont que blocages, doutes, larmes. C’est la première fois que j’envisage d’arrêter ma carrière.

Championnat suisse 2022 à côté d’Annik Kälin. (Keystone-ATS)
Au quotidien, je suis très sensible et même de petites choses me perturbent. Un jour, j’éclate en sanglots parce que mes légumes au four ne sont pas parfaits. Je réalise: quelque chose ne va pas chez moi. Mais quoi? Je n’en ai aucune idée et je ne sais pas comment trouver la réponse à cette question.
Je suis quelqu’un qui aime avoir un plan. Objectifs, structure, rythme. Des entraînements huit fois par semaine, une vie entière consacrée au sport. Je suis une athlète 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Tout est orienté vers la prochaine compétition, le prochain objectif, le prochain meilleur temps personnel. Mais à un moment donné, un grand vide est apparu.
Le vide et l’épuisement n’apparaissent pas de manière soudaine. Ils s’installent en silence et lentement. Avec le recul, je le vois bien: c’est un processus qui s’est étendu sur plusieurs mois, voire plusieurs années. J’ai longtemps refusé de l’admettre et je l’ai gardé pour moi. Dans ma vie privée, il s’est passé des choses qui m’ont beaucoup affectée. J’ai longtemps sous-estimé, ou plutôt minimisé cela. Une crise psychique ne se voit pas. Il n’y a pas de jambe plâtrée, pas de résultat d’IRM.

Soutenue par son amie Angelica Moser, en début de saison au Luxembourg, en 2024. (màd)
Fin mars, je décide de me rendre chez mon médecin de famille. C’est chez elle que j’entends ce mot pour la première fois: dépression. Un diagnostic qui sera confirmé plus tard par un spécialiste. Ce diagnostic s’accompagne de sentiments très forts, un mélange de soulagement et de honte. Enfin, je peux mettre un nom sur ce que je vis. Et en même temps, c’est un mot lourd de sens. J’ai tout de suite des images en tête, des représentations. Et cela ne me correspond pas. Je suis ambitieuse, performante, sportive, toujours en déplacement. Mais c’est précisément pour cette raison qu’il est important pour moi d’en parler. Je ne suis pas simplement «mentalement fatiguée», je suis malade. Accepter cela est à la fois douloureux et libérateur.

Meret Baumgartner au meeting d’athlétisme de Lucerne, en 2024. (màd)
Mon médecin de famille m’a également dit: fais une pause. Jusque-là, tout était noir ou blanc pour moi. Soit je continuais à fond, soit j’arrêtais le sport d’élite. Mais elle m’a montré une troisième voie: un temps de repos. En sortant de son cabinet, j’en suis convaincue: c’est la meilleure solution. Pour la première fois depuis des mois, je me sens soulagée. Je ne dois plus fonctionner, mais je ne dois pas non plus tout abandonner. Le sport d’élite compte beaucoup pour moi.
Ce n’est pas une décision facile à prendre. Je viens de terminer l’école de recrues sport d’élite et mes ambitions sont devenues grandes. Les Jeux Olympiques de Los Angeles représentent mon objectif à long terme. Alors faire une pause? J’ai mauvaise conscience. Mais il n’y a pas d’alternative. Les blessures mentales sont comme les blessures physiques. Elles ont besoin de temps et d’espace pour guérir. Si je m’étais déchiré un ligament, personne n’aurait dit «continue quand même». Mais en cas de déchirure des ligaments, la blessure est visible et le système est prêt pour toi: médecin d’équipe, physio, rééducation, et voilà. En cas de blessure mentale, il n’y a pas de processus clair ou de système qui t’attend.

«Mauvaise conscience»: recrue sportive d’élite Baumgartner, à l’hiver 2025. (màd)
J’en parle alors ouvertement avec mon coach Adi Rothenbühler et je lui fais part de mon intention d’arrêter la saison. Il est compréhensif et soutient ma décision. Il me propose de mettre en place un programme spécial que je pourrais suivre sans pression pendant mon temps libre, pour continuer une activité physique et pour me permettre aussi de garder un certain niveau en vue d’une reprise du sport d’élite.
Mais je ne me sens pas à l’aise avec cette idée et je refuse – je dois m’éloigner de toute idée de performance pour me recentrer. Il respecte aussi cela. D’une manière générale, je ressens peu de pression ou de résistance extérieures, que ce soit avant cette pause ou par rapport à ma décision. C’est peut-être plus facile en tant que sportive individuelle et encore plus lorsque l’on a un entourage soutenant. Je suis reconnaissante de pouvoir en parler librement et d’avoir un entourage compréhensif, que ce soit mon coach Adi ou mon groupe d’entraînement au centre de performance national de Swiss Athletics. Je le constate: je n’ai pas besoin de cacher mon état. Je ne le veux pas d’ailleurs. Nous décidons que ma pause du sport d’élite durera certainement jusqu’en septembre, avant de redémarrer lentement les préparatifs pour la saison en salle. Ensuite, je prendrai à nouveau une décision.

Des discussions ouvertes avec le coach Adrian Rothenbühler. (màd)
Mon médecin de famille propose de me mettre en arrêt maladie. J’ai toujours travaillé à côté du sport et ça, je préfère ne pas l’arrêter. Mes collègues me procurent un sentiment positif et je peux me développer d’un point de vue personnel ici. Mais à côté de cela, je ne fais rien pendant les trois ou quatre premières semaines. Pas de sport non plus. Je commence une psychothérapie. Pour celle-ci, je cherche délibérément quelqu’un en dehors de la bulle sportive. En psychologie du sport, la notion de performance est toujours présente. L’espace de discussion dont j’ai besoin doit en être totalement détaché.
J’apprends à comprendre mes sentiments et à les définir. Et puis soudain, j’ai beaucoup de temps libre, pour moi, pour les amis, pour des sorties aussi. J’ai mis un peu de temps pour trouver mes marques dans cette nouvelle identité. Mais la baisse de pression me fait du bien, je retrouve rapidement un peu de stabilité et mes idées deviennent progressivement plus claires. Le besoin de bouger revient également. Je fais maintenant du sport deux à trois fois par semaine, un peu de musculation, du Pilates, je vais courir, mais sans chronomètre et sans objectif, juste pour bouger et m’aérer la tête. Mes amis me disent aussi que j’ai l’air d’aller mieux, c’est très bien. Et ils me convainquent de participer à la course du Grand Prix de Berne. Ils pensent que ce sera facile pour moi, en tant que sportive de haut niveau, même en période d’arrêt. Mais ils oublient que tout ce qui se trouve au-delà des 100 mètres est super dur pour moi.
Sport sans pression de performance: avec des amis au Grand Prix de Berne 2025. (màd)
Mais je ne veux pas encore penser aux haies. En étant hésitante lors d’une course de haies – parce que tu n’es pas au top mentalement –, non seulement tu perdras, mais tu risqueras aussi de tomber. Et ces chutes ont des conséquences. Elles renforcent les hésitations. Et cela finit en blocage.
Est-ce que je retrouverais un jour mon niveau après un arrêt de plusieurs mois? Je pense que oui, même s’il faudrait une reconstruction intensive au niveau musculaire et de la vitesse. Mais je n’ai que 23 ans, je suis convaincue que si mon esprit le veut à nouveau, mon corps le pourra. Actuellement, je fais toujours partie du cadre national, et j’en suis reconnaissante. La fédération t’offre une place dans le cadre pour deux ans et te soutient si tu as une baisse de régime ou une blessure. Mais comme j’ai rarement pu montrer mes meilleures performances à cause d’une blessure et de mes problèmes mentaux au cours des deux dernières années, il y a certainement un risque que je sois bientôt exclue du cadre.
Aujourd’hui, je travaille à 80%, je fais des expériences intéressantes et j’évolue dans ma vie professionnelle, mais certains jours, le sport de performance me manque beaucoup. L’intensité que j’ai ressentie en décrochant le titre de championne de Suisse M23, lors de mon record personnel de 8,08 secondes au 60 mètres haies à Saint-Gall ou encore aux Jeux mondiaux universitaires en Chine, est unique. Pourtant, l’athlétisme n’a jamais été un plan de carrière conscient pour moi. J’y suis arrivée un peu par hasard, pour m’amuser avec des amies. Et tout à coup, il y avait une perspective, un potentiel, et c’est là qu’est né un chapitre merveilleux.

Record personnel en février 2023: la joie est grande après avoir couru le 60 m haies en 8,08 secondes lors des championnats suisses en salle à Saint-Gall, ici avec Ditaji Kambundji. (Keystone-ATS)
Le sport te donne tellement, et mon histoire n’est pas un plaidoyer contre le sport d’élite, mais un plaidoyer pour s’écouter à temps. J’ai attendu beaucoup trop longtemps et réagi trop tard, alors que le vide émotionnel était total. Ce système ne prévoit pas de pause. Il y a toujours une autre compétition, un autre objectif, un autre entraînement. Mais ralentir un peu le tempo peut être un bon choix: quand je regarde en arrière, je me rends compte que j’ai réalisé mes meilleures performances et obtenu des records personnels quand le sport n’était pas tout dans ma vie. Il n’est peut-être pas nécessaire de s’entraîner huit ou neuf fois par semaine. Moins, c’est parfois plus. C’est ce que je retiens de cette expérience, quelle que soit la suite des événements. Est-ce que Meret sera un jour à nouveau une passionnée de course de haies? Je n’ai pas encore de réponse à cette question. Il faut d’abord que je me remette correctement de ma blessure.»
Propos recueillis par Pierre Hagmann, équipe Médias de Swiss Olympic
Sans filtre – Histoires du sport suisse
Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch