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«J’avais l’impression que le train partait sans moi»
Il y a deux ans, le joueur de tennis professionnel Dominic Stricker vivait un moment de gloire à l’US Open. Cette année, il a été largement battu au premier tour de qualification. Le jeune homme de 23 ans revient sur les deux années les plus difficiles de sa carrière, explique comment il compte retrouver cette décontraction si importante à ses yeux et ce qu’il a appris sur lui-même sous hypnose.
«Je me souviendrai toute ma vie du 30 août 2023. Surtout les 90 secondes avant le dernier changement de côté dans le match contre Stefanos Tsitsipas, dont les images ont fait le tour du monde. Je m’assois sur mon banc, je me sèche, j’essaie de rester décontracté. Les haut-parleurs du stade passent “I wanna dance with somebody” de Whitney Houston. Je n’ai vraiment réalisé que j’avais chanté à voix haute que lorsque j’ai allumé mon téléphone portable dans les vestiaires après le match et que des centaines de messages et de publications Instagram ont défilé. Dans un tel moment, après quatre heures de combat, tu respires et tu essaies de te concentrer à nouveau pendant la courte pause, tu ne penses plus à grand-chose. C’est l’instinct qui prend le dessus. Plus tard, quelques personnes m’ont dit que j’avais fait exactement ce qu’il fallait: chanter permet de calmer le système nerveux.

«La victoire la plus importante de ma carrière»: à l’US Open 2023, Dominic Stricker (droite) bat Stefanos Tsitsipas, favori, en cinq sets. (Keystone-ATS)
Tout le monde a ensuite parlé de l’incroyable décontraction que je dégageais. Mais dans ma tête, j’étais loin d’être décontracté. Quand tu mènes 5-2 dans le cinquième set et que tu es sur le point de remporter la victoire la plus importante de ta carrière, mille choses te passent par la tête. Tu n’arrives pas à jouer un point à la fois. Tes nerfs s’affolent, tu sens que ton adversaire devient encore plus fort, tu espères finir le match sur ton propre service. Et lorsque l’adversaire se procure tout de même des balles de break, il est extrêmement difficile de garder son calme en tant qu’outsider. Je suis fier d’y être parvenu. Et même si j’étais complètement épuisé le lendemain, moins de 48 heures plus tard, j’ai remporté un autre combat en cinq sets et je me suis qualifié pour les huitièmes de finale de l’US Open contre Taylor Fritz.
Mais au tennis, la frontière entre l’ascension et la chute est extrêmement mince. Après mon exploit à l’US Open, j’ai joué la Coupe Davis pour la Suisse. Mon mal de dos ne m’a pas vraiment inquiété au début. Puis les douleurs se sont aggravées lors des tournois suivants et, vers la fin de l’année 2023, il était clair que je devais m’arrêter pendant plusieurs mois à cause d’une déchirure au niveau d’un disque intervertébral.

Dominic Stricker en double avec Stan Wawrinka, lors de la Coupe Davis 2023. (Keystone-ATS)
Cette interruption forcée m’a vraiment fait souffrir. Certes, la position au classement mondial est gelée pendant quelques mois, mais j’avais quand même l’impression de perdre chaque jour un peu de terrain par rapport à mes concurrents. Il y a tellement de joueurs très forts et tu en vois tous les jours qui remportent des succès. J’avais l’impression qu’un train que je voulais absolument attraper partait sans moi. En même temps, j’avais besoin de restructurer mes journées, de me réorganiser, car depuis des années, tout tournait autour du tennis.
J’ai fait un premier pas vers un retour à la normale lorsque j’ai pu m’entraîner à nouveau à une intensité élevée au cours du second semestre de l’année dernière. C’est à ce moment-là que j’ai repris courage, que j’ai vu que je n’avais rien perdu. Sauf le plus important: le sang-froid dans les situations tendues. C’était extrêmement frustrant: j’ai bien joué dans la plupart des matches après ma blessure, j’ai tenu sans problème jusqu’à 3-3 ou 4-4. Mais ensuite, je me suis mis la pression, j’ai voulu absolument me récompenser par une victoire, et j’ai perdu tous les matches parce que j’ai pris de mauvaises décisions dans les moments importants.

Une blessure au dos oblige Stricker à faire une pause forcée de plusieurs mois. (Keystone-ATS)
Après New York, des tournois Challenger figurent à mon programme – des tournois de deuxième niveau où l’on ne joue pas pour des centaines de milliers de dollars, mais pour quelques milliers d’euros. Les 12 et 13 septembre, je participerai également à la Coupe Davis contre l’Inde. En ce qui concerne l’aspect financier, la différence entre les 100 premiers du classement mondial et les autres est énorme. Si ton classement te permet de participer aux quatre tournois du Grand Chelem, tu sais que tu peux payer ton équipe et tes frais de déplacement. Cette année, à l’US Open, les joueurs qui perdent au premier tour du tableau principal reçoivent 110’000 dollars américains. J’ai malheureusement perdu lors du premier des trois tours de qualification. Il ne me reste donc plus qu’à payer les frais moi-même.
Malgré une différence flagrante sur le plan financier, il n’y a pas non plus de matches faciles sur le Challenger Tour. Même à l’échelon en dessous, les tournois Future, le niveau est désormais très élevé. Les 300 meilleurs joueurs du monde font tous un effort énorme, ils sont tous capables, dans un bon jour, de créer un exploit et de battre un joueur du top 20. Ce qui compte, c’est le nombre de bons jours que tu as dans l’année, et la capacité à gagner des matches même dans un jour moyen.

Dominic Stricker à l’heure de l’interview pour ce blog. (Swiss Olympic)
Les nombreuses défaites de l’année dernière et de cette année m’ont déjà fait réfléchir. Je n’ai pas pensé à prendre ma retraite, mais par moments, je me suis demandé s’il y avait vraiment une place pour moi parmi les cent meilleurs, si j’arriverais encore une fois à entrer dans ce cercle. Dans ces moments-là, je me rappelle que je n’ai que 23 ans et que j’ai encore de nombreuses années devant moi. On est récompensé quand on fait les choses correctement, que l’on travaille dur, mais aussi lorsqu’on prend au sérieux les signaux de son corps, que l’on s’accorde suffisamment de repos et de moments de déconnexion, un après-midi de détente à la piscine du Marzili à Berne par exemple. Actuellement, je suis 226e mondial. Mon objectif à court terme est de gagner à nouveau des matches.
Si je reste en bonne santé, le top 50 est certainement possible. Et quelque part, le rêve d’être un jour numéro 1 est toujours vivant, même si c’est très loin pour l’instant. Une chose me paraît folle:
Certains jours tout est parfait: le timing, les sensations, les bonnes décisions qui viennent sans réfléchir. Et le lendemain, ton coup droit te fait défaut ou tu réussis ton service à l’extérieur, mais pas un seul au centre. Alors que tu as répété ces gestes des milliers de fois. Et plus tu veux forcer les choses, moins ça marche. Tout aussi mystérieux: vers la fin de l’année dernière, qui a été difficile, j’ai soudain réussi deux bons tournois à Stockholm et à Bâle. Ces souvenirs me donnent de l’espoir.
Le jeune Dominic Stricker à 11 ans, au centre de tennis Tivoli Worblaufen. (màd)
Mon médecin de famille propose de me mettre en arrêt maladie. J’ai toujours travaillé à côté du sport et ça, je préfère ne pas l’arrêter. Mes collègues me procurent un sentiment positif et je peux me développer d’un point de vue personnel ici. Mais à côté de cela, je ne fais rien pendant les trois ou quatre premières semaines. Pas de sport non plus. Je commence une psychothérapie. Pour celle-ci, je cherche délibérément quelqu’un en dehors de la bulle sportive. En psychologie du sport, la notion de performance est toujours présente. L’espace de discussion dont j’ai besoin doit en être totalement détaché.
Je m’entends bien avec certains joueurs, Jan-Lennard Struff ou Flavio Cobolli par exemple, mais nous sommes tous plutôt solitaires, chacun dans son monde.
Même si les deux dernières années ont été difficiles pour moi, je vois aussi beaucoup de positif. J’ai par exemple appris à mieux m’écouter et à prendre des décisions difficiles si nécessaire. C’est ainsi qu’au printemps, je me suis séparé de mon entraîneur, Dieter Kindlmann, car je voulais faire le vide dans ma tête et explorer de nouvelles voies. Avant de m’envoler pour Francavilla pour le prochain tournoi Challenger, je me suis offert une longue partie de golf et un repas avec un bon ami. En fin de soirée, il m’a spontanément dit: “Tu sais quoi, je prends l’avion avec toi demain et je t’accompagne au tournoi.” Contre toute attente, j’ai alors réussi à me hisser en demi-finale. Cela montre à quel point il est important pour nous, joueurs de tennis, de créer un bon environnement autour de nous. C’est aussi pour cette raison qu’il est clair pour moi que je vais bientôt engager un nouvel entraîneur. Pas uniquement pour qu’il m’apprenne des choses à l’entraînement ou qu’il me donne des conseils durant les matches. Les petites choses sont tout aussi importantes: ne pas manger seul, ne pas cogiter dans mon coin, pouvoir partager des choses avec quelqu’un, de ne pas devoir m’occuper de tout moi-même. Le fait d’avoir trouvé, il y a quelques jours, un accord pour une collaboration avec l’agence bernoise AVD Management, qui s’occupera surtout des contrats de sponsoring et de marketing, est également une étape importante pour moi.

Sur le chemin du retour: Dominic Stricker en juillet 2025 au Swiss Open de Gstaad. (Keystone-ATS)
Et si je joue avec la peur au ventre, je n’ai aucune chance. Peu après ma blessure, un spécialiste de l’hypnose sportive m’a contacté. J’ai poliment refusé son offre, je n’imaginais pas que cela puisse m’apporter quelque chose. Il y a quelques mois, j’ai changé d’attitude et je me sentais prêt à donner une chance à cette méthode. Et je dois l’avouer: c’est dingue ce que l’hypnose permet de faire. Parmi les thèmes des séances, nous avons travaillé sur le fait que je me crispais dans les moments importants, comme si j’avais peur de gagner. Sous hypnose, j’ai remonté le chemin que j’ai parcouru dans ma vie, car nous voulions découvrir d’où venait ce sentiment. Finalement, je me suis vu allongé dans une salle d’opération, avec mes parents inquiets à mon chevet. Je pouvais décrire chaque détail, où se tenait chaque personne dans la pièce, le décor, tout. Et j’ai appris plus tard, en discutant avec mes parents, que j’avais dû subir une opération à l’âge de 10 semaines et que tout le monde était très inquiet pour moi. Maintenant, après quelques séances, j’ai l’impression d’avoir lâché beaucoup de lest. En tout cas, mon amie m’a fait remarquer à plusieurs reprises qu’après les séances d’hypnose, je suis beaucoup plus insouciant que d’habitude. L’autohypnose est aussi un atout précieux. Je me souviens très bien qu’après mon match à l’US Open contre Tsitsipas, vers trois heures du matin, j’étais encore totalement éveillé dans mon lit d’hôtel, submergé par toutes ces émotions, sans aucune chance de trouver le sommeil. Aujourd’hui, grâce à l’autohypnose, je sais comment m’endormir à tout moment en quelques secondes, quoi qu’il se soit passé auparavant.»
Dominic Stricker a commencé le tennis à l’âge de cinq ans. À 18 ans, le Bernois a remporté le titre en simple et en double dans la catégorie junior des Internationaux de France. En 2023, il a atteint les huitièmes de finale de l’US Open et s’est hissé au 88e rang mondial. En 2024, il a dû s’arrêter pendant plusieurs mois en raison d’une blessure au dos. Il a ensuite eu du mal à retrouver le chemin de l’élite mondiale. Il occupe actuellement la 226e place du classement mondial. Dominic Stricker a grandi à Grosshöchstetten et vit à Berne. Il joue actuellement sur le circuit sans entraîneur et bénéficie du soutien de Swiss Tennis. Ses parents se sont associés à lui au sein de la société Dominic Stricker GmbH. Depuis le 8 août, pour les domaines du management, du marketing et du sponsoring, Dominic Stricker collabore avec l’agence bernoise AVD Management, fondée par la joueuse de beach-volley Anouk Vergé-Dépré.

Propos recueillis par Mathias Morgenthaler, conseiller de carrière Athlete Hub chez Swiss Olympic
Sans filtre – Histoires du sport suisse
Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch