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14.
août
2020

« Je me suis trouvé »

Pendant longtemps, le lanceur de poids Gregori Ott s’est comparé à d’autres athlètes internationaux de haut niveau. Une grave blessure l’a contraint à tout remettre en question. Aujourd’hui, il se sent plus fort et plus satisfait que jamais.

Stade d’athlétisme Schützenmatte, Bâle, le 23 août 2019, championnat suisse, finale de lancer du poids. Je me concentre sur ma respiration, calme et régulière. Je repense aux semaines et mois qui viennent de s’écouler.

Au moment de découragement après mes blessures, à la nécessité de repartir de zéro, au changement de tout mon concept d’entraînement, au passage en revue de chaque détail, aussi minuscule soit-il, avec mon entraîneur Ursi Jehle, au soutien de ma petite amie et de ma famille, aux 25 heures d’entraînement par semaine pendant lesquelles j’ai mis mon corps et mon esprit au défi et ai donc beaucoup exigé de moi-même.

“Au moment du lancer, mon puissant cri primal accompagne la trajectoire du poids, je laisse libre cours à toutes mes émotions, à tous mes sentiments des derniers mois.”

C’est alors que le proverbe « Train hard – Win easy » me vient à l’esprit. Un sourire se dessine sur mon visage, mon corps se relâche. Je prends de la magnésie en poudre dans mes mains et me donne une tape sur le cou. Ce rituel accompli, je suis prêt.

Dans les deux secondes qui suivent, je donne tout. D’un état de relâchement complet, je rassemble toute mon explosivité et je catapulte le poids de 7,26 kilos vers l’avant. Au moment du lancer, mon puissant cri primal accompagne la trajectoire du poids, je laisse libre cours à toutes mes émotions, à tous mes sentiments des derniers mois. 

Le poids est lancé, je perds de vue tout ce qui m’entoure, je ne songe même pas à la distance que j’ai faite. Je me concentre plutôt sur le prochain de mes deux essais restants. Je veux me rapprocher de la meilleure version de moi-même.

Ce n’est qu’après trois essais exécutés dans un état de concentration maximale que je regarde le tableau et la distance que je viens de lancer. Je ressens une joie pure. Je me suis une fois de plus adjugé le titre de champion suisse.

Cette victoire me conforte dans l’idée que j’ai suivi la bonne voie. Ma nouvelle approche, qui consiste à rester concentré sur moi-même, à ne pas me comparer constamment aux autres athlètes, fait ses preuves. Non seulement mes performances sportives s’épanouissent à nouveau, mais ma satisfaction intérieure et mon acceptation de moi-même sont plus grandes que jamais en ce moment précis.

“En 2018, j’ai revu les priorités de ma vie et remanié tout mon concept d’entraînement de A à Z.”

En 2018, j’ai revu les priorités de ma vie et remanié tout mon concept d’entraînement de A à Z. A l’époque, la première chose que je faisais le matin était de consulter mes réseaux sociaux. Impressionné par certains athlètes vraiment imposants de la scène du lancer du poids, j’ai décidé de m’inspirer de leur condition physique et de leurs performances sportives. Je parcourais régulièrement le profil de Ryan Crouser, le champion olympique de 2016, qui me fascinait tout simplement.

Je voulais avoir exactement son physique, son poids, ses valeurs de force. Si je faisais tout exactement comme lui, moi aussi, je serais sûrement capable d’atteindre ces incroyables distances. C’est du moins ce que j’imaginais. Une voix intérieure me disait que je pouvais y arriver si je le voulais suffisamment fort.

“Je me suis entraîné comme un bœuf, quatre heures deux fois par jour au stade et dans la salle de musculation.”

J’ai décidé de faire passer mon poids de compétition, déjà impressionnant, de 130 à 150 kilos. Je voulais également repousser les limites de mes valeurs de force en m’astreignant à un entraînement intensif. Je me suis entraîné comme un bœuf, quatre heures deux fois par jour au stade et dans la salle de musculation. Au début, mes valeurs ont effectivement explosé. Et je mentirais si je disais que ce n’est pas génial de soulever 250 kg en soulevé de terre.

Mais cette méthode d’entraînement était une hérésie, comme j’ai tôt fait de le constater. Tout s’est bien passé pendant un certain temps, jusqu’à ce que j’obtienne l’effet inverse. Jusqu’au moment où mon corps a commencé à protester. Dans mon cas, cela a commencé par de petites blessures et s’est terminé par une blessure au dos et deux déchirures des muscles pectoraux.

Le nouveau concept d’entrainement montre ses effets et Gregori Ott devient à nouveau champion suisse

Le nouveau concept d’entrainement montre ses effets et Gregori Ott devient à nouveau champion suisse

Je me suis alors demandé ce que j’allais faire. Cette vulnérabilité était nouvelle pour moi. Quand le médecin m’a annoncé que je ne lancerais pas un poids pendant des mois, cela m’a fait l’effet d’un coup de poing au visage.

Alors que je me battais quotidiennement contre de fortes douleurs dorsales, je doutais pour la première fois de mon concept et même de l’intérêt de pratiquer ce sport. « Pourquoi te compares-tu toujours aux autres athlètes et pourquoi te compare-t-on aussi constamment ? », me suis-je demandé

“Pendant ma pause pour blessure, j’ai soudain pris conscience de mon erreur. Combien de temps et d’énergie j’avais mis dans cette comparaison constante ! ”
Une leçon importante - Surtout en musculation, Gregori Ott a appris que beaucoup n'aide pas toujours beaucoup, mais parfois même provoque le contraire.

Une leçon importante - Surtout en musculation, Gregori Ott a appris que beaucoup n'aide pas toujours beaucoup, mais parfois même provoque le contraire.

Le lancer du poids est un sport où l’on se bat avant tout contre soi-même. Ce n’est pas un duel en coude à coude, comme en sprint, ou comme dans un sport de combat, où il faut s’adapter à chaque adversaire. En lancer du poids, il faut rester concentré sur soi-même. Dans les deux secondes qui précèdent le lancer, l’entraînement athlétique fonctionnel doit fusionner avec l’entraînement technique spécifique et avec le travail de préparation mentale.

Pendant ma pause pour blessure, j’ai soudain pris conscience de mon erreur. Combien de temps et d’énergie j’avais mis dans cette comparaison constante ! J’ai enfin ouvert les yeux, et mon entourage m’encourage aussi à suivre cette voie.

Je sais que je dois optimiser mon environnement, ma vie quotidienne, mon mode de vie de lanceur de poids en fonction de mes idées, de mes conditions génétiques et maintenant aussi en fonction de mes blessures, et ne pas me laisser distraire par d’autres athlètes, fonctionnaires ou toute autre personne.

“Oui, vous ne voyez rien de ces exercices de respiration sur les réseaux sociaux, car quelle image cela renverrait, un morceau de 130 kilos qui reste assis à la maison pour s’entraîner à respirer ? ”

J’améliore ma récupération et je crée différents rituels quotidiens. Je prends une douche froide tous les matins pour stimuler ma circulation ainsi que pour renforcer mon système immunitaire et mon mental. J’effectue mes exercices de souplesse pour le dos. Ensuite, je me consacre à mes exercices de respiration, que je peux faire en position assise ou couchée. Le but est essentiellement d’apprendre à respirer correctement, c’est-à-dire à respirer par le ventre et à éviter la respiration entrecoupée.

Oui, vous ne voyez rien de ces exercices de respiration sur les réseaux sociaux, car quelle image cela renverrait, un morceau de 130 kilos qui reste assis à la maison pour s’entraîner à respirer ? Ce sont pourtant les graines que je sème actuellement pour gagner quelques pourcent qui décideront de mes succès ou défaites en compétition, mais aussi dans la vie de tous les jours.

“Mon nouvel entraînement fait ses preuves : Mes valeurs de force sont meilleures que jamais, et cela se voit également à la distance et à l’explosivité de mes lancers. ”

Mon entraînement a également beaucoup changé suite à mes blessures. Je ne peux plus faire de squats en portant de lourdes charges sur le dos, ni de développés-couchés avec beaucoup de poids. Je dois donc renoncer à deux des principaux exercices de musculation pour le lancer du poids.

En contrepartie, je me concentre davantage sur l’entraînement isométrique, c’est-à-dire des exercices basés sur un temps de maintien plus long, avec beaucoup de tension dans le muscle, comme la planche ou le squat au mur. Un entraînement athlétique dynamique joue également un rôle important. Par exemple, je fais de nombreuses combinaisons différentes de sauts ou je jette une médecine-balle contre le sol le plus fort possible. J’utilise également des bandes élastiques pour les exercices de force, que j’enroule autour de certaines extrémités pour réduire l’apport sanguin.

Cela permet d’obtenir les mêmes effets avec beaucoup moins de poids. De cette manière, je parviens également à augmenter la mobilité de mes articulations, de mes muscles et de mes fascias.

Une autre composante est l’entraînement neuro-athlétique, dans lequel l’entraînement du corps mais aussi du cerveau est pondéré de manière égale et les séquences de mouvements sont également vues d’un point de vue neuronal. C’est un peu comme si vous aviez perfectionné le matériel d’une part et le logiciel d’autre part, et les aviez paramétrés de la meilleure façon possible pour qu’ils fonctionnent ensemble.

Mon nouvel entraînement fait ses preuves : Mes valeurs de force sont meilleures que jamais, et cela se voit également à la distance et à l’explosivité de mes lancers.

Gregori Ott a modifié son entraînement musculaire de fond en comble et se concentre désormais principalement sur l'entraînement fonctionnel

Gregori Ott a modifié son entraînement musculaire de fond en comble et se concentre désormais principalement sur l'entraînement fonctionnel

Lorsque je ne m’entraîne pas, je songe davantage à mon avenir, sachant que je ne pourrai pas continuer à lancer des poids jusqu’à ma retraite. C’est pourquoi, j’ai suivi une formation de masseur en parallèle de ma carrière professionnelle, et j’occupe un poste de masseur à 20 %. Je veux exercer un métier qui se combine facilement avec le lancer du poids. Dans ce travail, j’apprécie d’inverser les rôles et de passer d’athlète à masseur.

“Quand je cuisine avec ma copine, nous préparons toujours à manger pour quatre personnes. ”

J’accorde également plus d’attention à l’alimentation. Nous, les lanceurs de poids, sommes les gourmands parmi les athlètes, car un demi-kilo de plus ou de moins n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Pour maintenir un poids de 130 kilos avec deux séances de musculation par jour, je consomme 7000 à 8000 kcal par jour.

Quand je cuisine avec ma copine, nous préparons toujours à manger pour quatre personnes. Je mange deux portions, ma copine en mange une et garde la dernière portion pour manger au travail le lendemain. Mais n’allez pas imaginer que je peux manger tout ce que je veux. Pour qu’un sportif réalise sa meilleure performance personnelle, son alimentation doit être parfaitement adaptée à ses besoins, tout comme son entraînement ainsi que sa vie toute entière.

Pour trouver le succès, encore faut-il trouver sa propre voie.

Né le 4 mai 1994, Gregori Ott a commencé l’athlétisme à l’âge de 6 ans. En raison de sa taille, il s’essaye rapidement aux disciplines de lancer qui l’ont toujours fasciné. Jusqu’à présent, il a remporté 17 titres de champion suisse dans les disciplines du poids et du disque, et il est détenteur de 7 records suisses. Il vit à Liestal, dans le canton de Bâle-Campagne.

Sur le blog « Histoires d’athlètes - Sans filtre », des athlètes racontent des épisodes de leur vie avec leurs propres mots. Ils parlent de victoires et de défaites, de bons et de mauvais moments, du fait de tomber et de se relever. Les athlètes illustrent ainsi la diversité du sport suisse et montrent ce qui rend le sport si précieux.