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14.
mars
2024
(Keystone-ATS)

Soudain ex-professionnel: «Comme un plongeon dans le monde réel»

Marco Schönbächler avait 31 ans lorsque sa carrière de footballeur a pris fin du jour au lendemain. Après avoir quitté les stades pour l’ORP, il a dû se poser la question tant redoutée: Quelle vie après le sport professionnel? Il partage avec nous les grands obstacles et les nouvelles certitudes apparus au fil de sa longue transition vers la vie d’après.

«Il n’y avait jamais eu de plan B. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais pouvoir et vouloir faire d’autre. Toute ma vie, je n’avais eu qu’un seul rêve – jouer au FCZ. J’avais toujours réussi à éviter de penser à ma vie après le football et à remettre la question à plus tard. Peut-être parce que j’avais su très tôt que j’arriverais à passer professionnel et qu’il n’était pas nécessaire d’envisager sérieusement un plan B. Peut-être aussi parce que c’était une question pénible, qui me confrontait à la fin de mon rêve et au sentiment désagréable de ne pas savoir de quoi «l’après» serait fait. Ouais ouais, je me disais, j’ai encore quelques années devant moi. A posteriori, je le regrette. On ne sait jamais quand cela va finir, c’est d’ailleurs ce que je dis aujourd’hui à chaque jeune joueur professionnel. Je suis quelqu’un de solide et d’équilibré. Par chance, les turbulences qui ont suivi ne m’ont pas fait perdre pied, alors pourtant qu’à mon avis, il est facile de s’effondrer dans ces circonstances.

“Le choc a été douloureux et m’a pris complètement au dépourvu”

C’était le début de l’été 2021. Trois jours avant le début des entraînements, le directeur sportif du FC Zurich de l’époque m’a convoqué pour un entretien. Je m’étais entraîné comme d’habitude pendant l’intersaison et j’avais hâte de commencer ma quinzième saison au FCZ. Bizarrement, il m’a proposé que nous nous retrouvions sur une aire de repos sur l’autoroute, mais comme je n’avais pas de voiture, nous nous sommes rencontrés dans les bureaux du club. C’est là qu’il m’a annoncé la nouvelle qui m’a fait l’effet d’une bombe: Il n’y aurait plus de place ni de contrat pour Marco Schönbächler au FCZ.

J’ai eu du mal à comprendre cette décision et mis du temps à en mesurer tout l’impact. Trois mois plus tôt, nous avions parlé de la future prolongation de mon contrat, les signaux étaient au vert. Depuis le temps, je connaissais le processus, tout semblait se dérouler comme d’habitude – et tout s’est terminé brutalement. Le choc a été douloureux et m’a pris complètement au dépourvu. Mais dans ce business, il n’y pas de place pour les sentiments!

Au revoir: Marco Schönbächler et Adrian Winter (à droite) sont remerciés par le couple présidentiel du FCZ en août 2021 (Keystone-ATS).

Au revoir: Marco Schönbächler et Adrian Winter (à droite) sont remerciés par le couple présidentiel du FCZ en août 2021 (Keystone-ATS).

J’avais vécu tellement de choses avec ce club, des moments inoubliables et des galères terribles, le titre en championnat, la Ligue des champions, la relégation, la promotion, j’avais refusé toutes les autres offres, même celles de l’étranger... Je m’identifiais à mon club et j’avais un vrai lien avec les supporters. Quand j’étais petit, je jouais à Urdorf et je ne rêvais pas de l’étranger, mais du FC Zurich.

“Un peu comme si tu avais 57 ans sur le marché du travail classique”

A 17 ans, j’ai réalisé mon rêve. Jamais je n’aurais pensé que je tirerais un trait sur le football professionnel à 31 ans. Tout à coup, ce jour arrive. La Super League est une ligue formatrice, elle prépare des jeunes pour les revendre avec un bénéfice; c’est le seul moyen de gagner de l’argent dans ce championnat. Or, à 31 ans, tu commences à te faire vieux. Un peu comme si tu avais 57 ans sur le marché du travail classique.

Après la fin de mon parcours au FCZ, j’ai entretenu ma condition et j’ai examiné les alternatives qui se présentaient à moi. J’ai reçu des offres financièrement intéressantes d’Europe de l’Est, quelques-unes de Suisse, mais finalement, aucune ne cochait toutes les cases. Comme le FCZ est pour ainsi dire dans mon ADN, des destinations comme Bâle ou GC étaient de toute façon exclues.

Destination taboue en rouge et bleu: Schönbächler, l’éternel joueur du FCZ, a vécu son emploi de rêve pendant 15 ans (Keystone-ATS).

Destination taboue en rouge et bleu: Schönbächler, l’éternel joueur du FCZ, a vécu son emploi de rêve pendant 15 ans (Keystone-ATS).

Un jour, environ un an après ce fameux rendez-vous avec le directeur sportif, j’ai soudain eu une certitude: C’est fini. Pour de bon. Le moment était venu de me poser LA grande question: Et maintenant?

Prisonnier des schémas de pensée habituels

Ma seule vocation, c’était le football. Je n’en avais aucune autre en tête. Quant à l’apprentissage d’employé de commerce que j’avais effectué à l’adolescence dans les bureaux du FCZ, il ne m’a pas été d’une grande utilité. Très vite l’ORP, le chômage, a été ma nouvelle réalité. M’y inscrire m’a demandé un certain travail sur moi-même. Cependant, c’est l’étape suivante qui a été vraiment difficile – se mobiliser, aller vers les gens, chercher de l’aide, activer son réseau, demander si l’on peut faire un essai ici ou là. Je l’ai ressenti comme un énorme obstacle et je sais que beaucoup d’anciens sportifs professionnels ont vécu la même chose. Pendant toute ta vie de footballeur, tout le monde te sollicite – les supporters, les sponsors, les clubs – et d’un seul coup, c’est l’inverse. J’ai éprouvé un peu de honte.

“Pendant toute ta vie de footballeur, tout le monde te sollicite et d’un seul coup, c’est l’inverse”

Pendant un certain temps, j’ai été prisonnier de ce schéma de pensée – attendre que les autres viennent vers moi me proposer quelque chose. Parce que c’est ce que j'avais toujours connu. Et aussi parce que c’était la voie de la facilité. Mais rien de tel ne s’est produit. Finalement, un jour ou l’autre, il faut se faire violence.

On m’a dispensé divers conseils, à l’ORP mais aussi au sein de l’«Athletes Network» (un service d’orientation professionnelle pour les athlètes), et partout on m’a dit la même chose: en tant qu’ex-footballeur professionnel, tu n’as pas suivi une formation classique, mais tu as d’autres qualités appréciées dans le secteur privé. La force mentale, l’esprit d’équipe, la volonté de performance et un vaste réseau. Active-le!

Schönbächler et ses partenaires de projet: aujourd’hui, ils dirigent ensemble un centre de padel (màd).

Schönbächler et ses partenaires de projet: aujourd’hui, ils dirigent ensemble un centre de padel (màd).

Poser des carreaux dans un club de padel

Bientôt, une première porte s’est ouverte. Avec deux collègues, dont Adrian Winter (lui aussi un ex-joueur du FCZ), nous nous sommes lancés dans l’entrepreneuriat et avons décidé de construire une salle de padel à Rüti, près de Zurich. Elle est devenue par la suite la plus grande de Suisse. Nous avons appris sur le tas, que ce soit pour la recherche d’un bien immobilier, les négociations, le business plan, les travaux de transformation, le chauffage au sol, la pose de carreaux, la restauration, le marketing et tout le programme. Nous étions footballeurs et nous avons beaucoup tâtonné, nous avons fait beaucoup de choses nous-mêmes.

Le Padel Sports Club a été inauguré l’an dernier et il marche bien. A n’en pas douter, notre notoriété a aidé à faire connaître la salle dans les médias. Là aussi, c’était soudain l’inverse. Pendant des années, les médias ne cessaient de venir vers nous et à présent, c’est nous qui les sollicitions. Le réseau précisément.

Schönbächler en 2014, lors d’un point de presse avec l’équipe nationale – aujourd’hui, ces contacts lui sont utiles (Keystone-ATS).

Schönbächler en 2014, lors d’un point de presse avec l’équipe nationale – aujourd’hui, ces contacts lui sont utiles (Keystone-ATS).

La réalisation de ce projet a été intense et riche en défis, mais une fois que l’activité régulière a démarré, j’ai rapidement su que je voulais faire et apprendre autre chose. Il a fallu une nouvelle fois que je surmonte mes blocages. J’ai vite compris qu’en abordant les autres avec une certaine humilité et un réel intérêt, les portes s’ouvraient toutes seules. Jamais encore je n’ai été confronté à des clichés négatifs, comme celui du footballeur qui a deux neurones.

“Depuis janvier, j’ai un emploi à durée indéterminée – pour la première fois de ma vie”

J’ai ainsi eu l’opportunité de faire différents essais, par exemple dans une agence de marketing, une entreprise de design d’intérieur ou encore dans la vente, au sein de l’agence immobilière d’une connaissance. Cet essai a débouché sur un stage de trois mois, puis sur un poste fixe à 70 %. Depuis janvier, j’ai un emploi à durée indéterminée – pour la première fois de ma vie! Les footballeurs ne connaissent que les contrats de travail à durée déterminée, synonymes de pression et parfois d’incertitude. Voilà bien quelque chose qui ne me manque pas!

Janvier 2024, signature du premier contrat de travail à durée indéterminée: le nouvel employeur de Marco Schönbächler annonce son engagement avec fierté, à la manière d’un transfert.

Janvier 2024, signature du premier contrat de travail à durée indéterminée: le nouvel employeur de Marco Schönbächler annonce son engagement avec fierté, à la manière d’un transfert.

“Au départ, tu as beaucoup d’argent et de temps, puis les deux disparaissent”

Le bonheur de taper dans le ballon le week-end

Désormais, je passe un jour et demi par semaine au centre de padel et le reste du temps, le nouveau venu que je suis prend doucement ses marques dans l’immobilier. Dans le football, je savais tout, dans mon nouveau job, je ne sais pas grand-chose. Mais je pose des questions. Au bureau, l’équipe est géniale et très patiente avec moi. Rédiger des e-mails, maîtriser l’orthographe, travailler de manière structurée... Autant d’éléments que tu n’as pas à intégrer dans ton quotidien de footballeur. Quand tu es un sportif professionnel, on te décharge de presque toutes les contraintes. A présent, c’est à moi de les gérer. Comme un plongeon dans le monde réel, en quelque sorte. Qui se traduit par des changements importants dans ma vie:

Le temps: D’un seul coup, les jours n’ont plus assez d’heures, surtout en hiver. C’est déjà une sacrée différence. J’ai dû apprendre à me coucher plus tôt et à me lever plus tôt. Lorsque j’étais footballeur professionnel, je n’ai jamais manqué de sommeil ni de temps libre. A présent, je n’ai plus guère de temps pour faire autre chose. Je trouve cela un peu dommage. Je sais que c’est la vie et le quotidien de la plupart des personnes durant toute leur vie d’adulte, et j’accepte ce nouveau rythme avec humilité. Cela dit, cette transition est un défi, je connais quelques anciens joueurs professionnels qui ont fait un burn-out. Au départ, tu as beaucoup d’argent et de temps, puis les deux disparaissent.

L’argent: C’est une sensation un peu étrange de savoir, à 34 ans, que plus jamais je ne gagnerai le même salaire que quand j’étais plus jeune. Heureusement, je n’ai jamais brûlé la chandelle par les deux bouts. Sans compter que ma valeur marchande n’a jamais défini ma valeur comme individu. J’ai pris un nouveau départ, avec un salaire basique de stagiaire. Ce n’est pas dramatique, tout le monde démarre au bas de l’échelle. Bien sûr, j’ai un peu d’argent de côté. Mais j’aimerais monter un nouveau projet et pouvoir de nouveau gagner un bon salaire.

Identité et estime de soi: Par bonheur, je n’ai pas besoin des applaudissements de milliers de personnes lorsque je marque un but pour avoir une certaine estime de moi. Je suis toujours la même personne, avec les mêmes valeurs et la même philosophie. Le football fait toujours partie de moi. A Zurich surtout, je reste avant tout le footballeur Marco Schönbächler. Je ne suis plus le joueur que les supporters adorent ou détestent selon les week-ends, mais de toute façon, cela n’a jamais défini mon identité. J’ai toujours apprécié le contact avec les supporters. Cette proximité avec les habitants de ma ville fait et fera toujours partie de mon identité.

«Schönbi», la figure identitaire: les fans du FCZ rendent hommage à son extraordinaire fidélité au club.

«Schönbi», la figure identitaire: les fans du FCZ rendent hommage à son extraordinaire fidélité au club.

Le corps et le mouvement: Pour quelqu’un comme moi qui avais l’habitude de me dépenser tous les jours comme un fou à l’extérieur, cette transition est compliquée. D’un côté, le manque d’activité physique me pèse; même au bureau, je me lève régulièrement pour marcher un peu. Mais d’un autre côté, je comprends toutes celles et tous ceux qui ont du mal à trouver l’énergie nécessaire pour faire du sport après une longue journée de travail. Alors que c’est tellement important, notamment pour la santé mentale. Aller courir un peu suffit. En parallèle, je joue encore au football dans le club de ma jeunesse, le FC Urdorf, en 2e ligue: un entraînement par semaine, un match le week-end. C’est l’occasion de constater avec étonnement que mes jambes ne répondent plus comme avant. Je sprinte, tout est à sa place dans ma tête et sur le plan technique, mais je sens que je n’ai plus ma force d’antan. Je dois aussi faire un peu plus attention à ce que je mange et me préparer des portions d’une taille plus raisonnable. Lorsque tu es footballeur, tu brûles tellement de calories que tu peux manger pratiquement tout ce que tu veux.

“De cette façon, j’ai toujours des frissons le week-end”

L’intensité et les émotions: Pouvoir continuer à jouer au football est essentiel et m’aide beaucoup dans cette transition vers ma nouvelle vie. De cette façon, j’ai toujours des frissons le week-end. En fait, peu importe le niveau. Je joue au foot, je veux gagner, je vis des émotions intenses sur le terrain, en compagnie de gars de mon village natal qui, auparavant, étaient dans les gradins pour m’encourager. Après le match, nous prenons une bière dans les vestiaires... et si nous perdons, ce n’est pas la fin du monde. Quand tu es professionnel, tu joues devant un public nombreux. Evidemment, c’est plus intense, mais en même temps, tu ressens une pression constante et à tous les niveaux, par rapport à toi-même, aux supporters, aux médias. Toute la vie tourne autour du football; si tu gagnes, tout va bien, sinon il faut assister à des réunions de crise.

Sans pression, mais avec beaucoup d’émotions: Schönbächler joue désormais en 2e ligue avec son club de jeunesse, le FC Urdorf.

Sans pression, mais avec beaucoup d’émotions: Schönbächler joue désormais en 2e ligue avec son club de jeunesse, le FC Urdorf.

J’ai 34 ans et je n’ai jamais annoncé officiellement la fin de ma carrière. Si je recevais une offre en provenance d’Arabie Saoudite... Non, je plaisante, ce chapitre est derrière moi. Aujourd’hui, je vais avec plaisir au travail, mais la phase de transition entre carrière professionnelle et carrière après le sport n’est pas terminée. Comment est-ce que j’imagine mon avenir? Il me faudra peut-être encore quelques années avant de pouvoir répondre à cette question. La suite de mon parcours passera peut-être par une formation. Mais ce n’est pas grave... Après tout, il me reste 31 ans jusqu’à mon prochain départ à la retraite!»

Propos recueillis par Pierre Hagmann, équipe Médias de Swiss Olympic

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Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch